05/06/2016
Le "respect de la vie" d'A.Schweitzer.
Qui connaît encore le nom d'Albert Schweitzer (AS), né en 1875 en Alsace allemande et mort en 1965 dans un Gabon tout juste indépendant ? Pourtant, pour lui, les trompettes de la renommée ont sonné fort en seconde moitié du siècle dernier. Sa création d'un hôpital à Lambaréné au Gabon lui a valu le Prix Nobel de la Paix 1952 et, par la suite, médailles et présidences, en veux-tu en voilà il en a rempli des tas de seaux. Un public très restreint sait peut-être encore qu'il fut un pasteur théologien protestant, fan de Bach et expert en orgues. Schweitzer a réfléchi tôt sur l'éthique du respect de la vie et s'est exprimé la-dessus opiniâtrement et abondamment sans être vraiment entendu. Cette pensée n'a encore été ni "dépassée" ni même égalée en dépit de tous les ouvrages actuellement publiés. Ce serait dommage que de ne pas s'y arrêter un moment.
Qu'est la vie pour AS ? Il ne s'est pas fatigué à l'expliquer rationnellement. L'homme de la rue comme le scientifique avec son microscope électronique sont semblablement "tous deux en face de l'énigme de la vie". Le sentiment suffit : qui écrase une petite bête ressent qu'il met fin à une existence sans devoir user des bancs de Fac pour en avoir conscience. L'écologie - interdépendances entre espèces puis terrible constat de l'hémorragie de ces espèces vivantes du fait de l'homme - est absente de l'horizon d'AS. C'est que cette science était encore trop peu vulgarisée pour être intégrée dans l'esprit et le sentiment.
Survol de l'éthique de Schweitzer. Nous allons maintenant user sans modération de citations. Découper des confettis dans une oeuvre abondante pour en éclairer l'éthique a ses inconvénients mais quand on veut être bref quoi de mieux ?
Il y eut un jour une "illumination", phénomène après tout pas si extraordinaire que ça, moment où ce qui était évanescent se rassemble brusquement en unité cohérente. 1915. AS naviguait sur le fleuve Ogooué au Gabon, se déplaçant pour une visite sanitaire : "soudain m'apparurent sans que les eusse pressentis ou cherchés les mots respect de la vie". "Mon existence a trouvé sa base et son orientation à partir du moment où j'ai reconnu le principe du respect de la vie qui implique l'affirmation éthique de l'homme".
D'abord partir de l'homme. " L'affirmation de la vie est l'acte spirituel par lequel l'homme cesse de se laisser vivre et commence à se dévouer avec respect à sa propre vie pour lui donner sa véritable valeur. Affirmer la vie, c'est rendre plus profonde, plus intérieure sa volonté de vivre et c'est aussi l'exalter. " Puis, dépasser l'homme. " La grande lacune de l'éthique jusqu'à présent est qu'elle croyait n'avoir affaire qu'à la relation de l'homme à l'égard des humains. " Car il n'y a pas de séparation fondamentale entre l'humain et le non humain. "Qu'elles tombent les frontières qui nous rendaient étrangers et isolés au milieu d'autres êtres vivants!" Voici ce qui peut en résulter:" Elle (l'éthique) ne trace pas autour de nous un cercle de tâches judicieusement délimitées mais charge l'homme de la responsabilité de toute vie qui est à sa portée et le contraint à se dévouer à elle.". "Je ne peux m'empêcher de respecter tout ce qui vit, je ne peux m'empêcher d'avoir de la compassion pour tout ce qui vit. Voilà le commencement et le fondement de toute éthique." Pas de racisme. "Pour l'homme véritablement moral, toute vie est sacrée, même celle qui du point de vue humain semble inférieure." Se reconnaître dans l'insecte: " Partout, tu retrouves le reflet de ta propre existence. Ce scarabée gisant mort au bord du chemin, c'était un être qui vivait, luttait pour subsister - comme toi - qui jouissait des rayons du soleil - comme toi - qui éprouvait la peur et la souffrance - comme toi - et qui maintenant n'est plus qu'une matière en décomposition - comme toi aussi, tôt ou tard tu le deviendras un jour."
Le respect de la vie ne va pas de soi.
Le refrain d'AS pour éclaircir le défi que chacun - soi, l'homme, toute vie - affronte était: " Je suis vie qui veut vivre parmi la vie qui veut vivre." "Je viens de tuer un moustique qui voletait autour de moi à la lumière de la lampe. En Europe, je ne le tuerai pas même s'il me dérangeait. Mais ici, il propage la forme la plus dangereuse du paludisme. Je m'arroge le droit de le tuer même si je n'aime pas le faire [.] un grand pas sera franchi quand les hommes commenceront à réfléchir et parviendront à la conclusion qu'ils ont le droit de nuire et de tuer seulement quand la nécessité l'exige. ". "Ma propre existence entre en conflit avec d'autres de mille manières. La nécessité de détruire la vie ou de la contrarier m'est imposée." Faut-il pour autant regarder ailleurs ? Absolument pas! "S'il a été touché par l'éthique du respect de la vie, il ne lèse ni ne détruit de vie que par une nécessité à laquelle il ne peut se soustraire; jamais il n'y consent intérieurement." Un schweitzerologue écrit: "Ce qui importait à Schweitzer, en tout cas, c'était de ne pas revêtir d'une dignité éthique les entorses à l'interdiction de détruire la vie : ce qui se justifie dans la pratique n'en devient pas bon pour autant."
Dans la société, il faut accepter de faire sourire de soi: "C'est le sort de toute vérité avant d'avoir été reconnue comme telle d'être tournée en ridicule." Accepter d'être taxé de sensiblerie car c'est là une qualité. Ne pas se demander si cette éthique du respect de la vie est apte à se caser immédiatement dans un Code juridique : " la pensée n'a pas à se demander si ses expressions auront une résonance plus ou moins vivante, elle doit simplement se soucier qu'elles atteignent leur but et aient une vie en elle."
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Ce respect de la vie ne serait-il pas trop vague, trop inconsistant pour l'action ? Schweitzer n'a pas voulu nous décrire une voie toute faite mais nous tendre une boussole.
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