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06/01/2016

Erosion de la biodiversité: des mots bancals

L'expression "érosion de la biodiversité" plait aux rédacteurs de rapports ou d'articles de revues soucieux de caractériser l'actuelle régression des espèces. Elle ne nous plait pas. C'est surtout l'usage fourbe d'"érosion" qui nous fâche mais avant de le contester, rabattons un peu le caquet de "biodiversité".

Par rapport à "nature", "biodiversité" caracole en tête. Le concept a ses mérites, il détaille la diversité (espèces, gênes, milieux de vie,etc.), il entend exprimer l'évolution et la complexité. Il séduit scientifiques et pollueurs parce qu'il fait sérieux, apte à se traduire en chiffres, pourcentages, euros et dollars. Mais ce n'est qu'une manière, une manière formalisée, de parler du vaste mystère de la nature. Pour l'heure, nul poète n'a encore pris son luth et chanté: O biodiversité, ô déesse adorée! Alors gardez bien "nature" au chaud de vos pensées.

Place à "érosion". Un sage hindou médite, montant et redescendant l'Himalaya. Son châle traîne nonchalamment à terre. Le sage est immortel et le châle inusable. Au bout d'on ne sait combien de millions d'années, l'Himalaya sera tout plat. Voila l'érosion. Au figuré, pour le Larousse, c'est une lente détérioration. Rien à voir avec ce qu'encaisse la nature. Rien à voir avec la réalité. La régression des espèces vivantes fonce...à tombeau ouvert, elle est une gigantesque hémorragie de la vie. "Érosion de la biodiversité" fourvoie. Comment mobiliser sur du flasque?

L'intensité de la raréfaction du vivant ne se discute plus vraiment. Les chiffres qui l'éclairent viennent de partout. Exemple: le taux d'extinction des espèces serait de 50 à 500 fois plus élevé que celui de référence dit "naturel". Même avec l'hypothèse basse, c'est terrible! Pas besoin d'être surdoué ni même de brandir l'effet de serre, pour estimer que si rien ne change dans nos comportements broyeurs de vie, le phénomène empirera encore. La moitié des espèces actuelles pourrait disparaître d'ici la fin de ce siècle. Hors chiffres, le qualitatif, les observations rendent tangible cette nécrologie. "Pour qui a connu la  richesse du moindre bord de chemin d'autrefois, la perte de biodiversité enregistrée en un demi-siècle donne le vertige." écrit un entomologue. (Revue "Insectes",2010).

En nos sociétés, sans chiffres rien n'existe vraiment mais ceux fournis sont-ils efficaces, convaincants? En faut-il d'autres? Ne sensibiliseraient-ils pas, par hasard, que les seuls déjà sensibilisés, déjà convaincus? C'est qu'il s'agit d'atteindre la majorité des humains alors que seul un petit nombre accorde une valeur en soi à la nature, juge que passer par dessus bord toutes ces espèces, nos compagnes de voyage dans le vaisseau de l'évolution, est blâmable. L'effet de serre va imposer à nos petits-enfants des conditions de vie très détestables. Nous le savons. Mais Etats, gouvernements, la plupart d'entre nous, simples mortels, tenons absolument à nous contenter de mots et de bricolages. Alors l'érosion de la biodiversité !!

Des responsables, des compétences de bonne volonté tentent de nous démontrer que perdre de la biodiversité sera une très mauvaise affaire pour les besoins essentiels, le bien-être de l'humanité. Ils dirigent nos regards dans deux directions

- les services rendus par la nature (dits encore écologiques, écosystémiques, etc.). Avec ces derniers, il faut le dire, on dissèque l'évidence mais comme celle-ci n'est jamais reconnue comme telle pourquoi pas? Nous avons surgi et nous maintenons en vie parce que la machinerie naturelle est cohérente avec notre propre fonctionnement; et inversement. C'est cela que l'on rappelle en égrenant biens fournis (nourriture, bois, etc.), maintien de fonctions écologiques (écosystèmes, cycles basiques de l'eau, de l'oxygène, etc.) sans oublier les services propices à l'épanouissements spirituel.

- les coûts résultant de la perte de biodiversité, de la réduction des services rendus par la nature. Les adeptes de cette approche pensent que les sous sont l'homme, que les sous sont tout. Ils se disent que si un argument doit l'emporter c'est celui-ci ou rien.  Alors les voici partis à transformer fleurs et animaux en chèques. Il y a du concret là-dedans, la démarche peut faire tilt dans le cerveau de quelques décideurs indifférents. Mais il faut surmonter cette ambiguïté : comment proposer de la protection en s'appuyant sur des logiques et des mécanismes d'économie libérale destructeurs de nature, par définition?

Savoir fait-il agir? Fait-il ressentir? Ressentir pousse à agir, à titiller le sens des responsabilités. Alors quels mots, quelles images pour ce faire? Il doit bien y avoir des femmes et des hommes qui ont ce talent de dévoiler en sensibilisant et dans le langage qui convient, des femmes et des hommes que nul n'a encore sollicités et dont les sociétés ont besoin.

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