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06/09/2018

Stoïcisme et écologisme

Stoïcisme et écologisme.

 

D’accord ! Les propos qui suivent sont ceux d’un amateur et non d’un prof de philo. Mais pourquoi le dilettante tout comme le bavard de bar-tabac ne pourraient-ils parler aux foules ? Par ailleurs, dites-vous,n’est ce pas d’un anachronisme excessif que de vouloir accoler des sagesses si éloignées dans le temps. Les pensées hellénistiques sont nées de la mondialisation des grecs par Alexandre ; l’écologisme, quant à lui, se confronte à l’immense dégradation actuelle et surtout à venir, de la biosphère. Ça ne doit pas empêcher de plaider que stoïcisme et écologisme, à l’occasion, se tangentent et même se recoupent.

 

Pourquoi le stoïcisme ?

Epicurisme, scepticisme, stoïcisme, cynisme, cyrénaïsme, toutes ces pensées hellénistiques ont quelque chose à nous dire, à nous gens du smartphone, pour notre bien. Elles nous le disent pas seulement en abstrait mais dans le concret d’un art de vivre. Sans exclure l’éclectisme, si le stoïcisme est ici privilégié, c’est que cette éthique-là nous paraît superbe. Certes, passions et plaisirs y sont muselés. Croyais-tu avoir enfanté un immortel ? rétorque Epictète au père qui pleure son enfant mort. Oui, tout ça est rude mais il y a le reste.

Voici en vrac quelques perles de l’enseignement stoïcien pour assurer tranquillité de l’esprit et grandeur d’âme. Discerner ce qui dépend de nous de ce qui ne dépend pas de nous, agir et penser en conséquence / Comprendre que ce ne sont pas les choses qui nous affectent mais notre propre jugement sur les choses. /Voir les choses dans leur réalité. / Trouver sa liberté dans un monde de nécessité, se suffire, accepter l’inexorable / Etre citadelle (non tour d’ivoire) ; « Etre semblable au promontoire contre lequel se brisent continuellement les flots ». / Relativiser : les existences sont éphémères ; dans le cosmos, la Terre est moins que minus / Cohérence avec la raison. / Cohérence avec le cosmos, l’humanité, soi. / Il n’y a de bien que le bien moral. Le stoïcisme nous égale à Dieu ou aux dieux s’ils existent.

 

Le stoïcien : un écolo qui s’ignore ?

« Suivre la Nature », ce serait, écrit-on, le slogan des stoïciens. Super ! dit l’écolo. En fait, il faut accorder la formule. Notre nature ( écosystèmes, biotopes, faune, flore,..) n’est pas celle des anciens. Pour eux, nature, raison, logique, logos Dieu ou dieux, cosmos, univers, c’est plus ou moins du pareil au même. On doit suivre la nature parce que source de normalité et de moralité. Nous, nous sommes plus contingents, le choses sont comme ça, elles auraient fort bien pu être comme ci. Enfin, tirer une morale de la physique est risqué.

Cela dit, il faut aujourd’hui comme hier s’accorder à la nature ; «partir de la nature universelle et de l’organisation du monde »(Chrysippe, un père du stoïcisme). Etre cohérent avec les lois physico-chimiques, biologiques, évolutives qui font le monde.

 

Même écocentrisme ?

Pour Aldo Léopold, philosophe écologiste forestier américain du début du 20e (« Almanach du Comté des sables »), l’important est l’écosystème : biotopes, êtres qui y vivent, interdépendances). Un de ses principes (complété par la suite par son disciple Callicott) : une chose est juste quand elle tend à préserver l’intégralité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique.

Qu’en dit le stoïcien ? Citons Pierre Hadot (« Introduction aux Pensées de Marc-Aurèle »). « Cette connexion,, cet entrelacement, cette implication de toutes choses en toutes choses, est un des thèmes les plus chers à Marc-Aurèle » . « il s’agit surtout de vouloir intensément le bien de l’univers et de la société en découvrant qu’il n’y a pas d’autre bien propre pour la partie que le bien commun du Tout ».

Une prof de philo écrit (Christelle Veillard, « Les stoïciens. Une philosophie de l’exigence », Ellipses 2017 : « C’est pourquoi l’énoncé « vivre selon la nature » doit être précisé de la manière suivante : ce n’est pas seulement vivre en accord avec notre nature d’homme mais vivre aussi en accord avec la nature c’est-à-dire la nature cosmique. Les stoïciens sont ainsi en quelque sorte les premiers écologistes ou plutôt les premiers à penser l’idée d’écosystème ».

« Suivre » ou vivre en cohérence avec la nature, suppose connaître la nature.Pour une autre prof de philo (J. Lagrée, « le naturalisme stoïcien », en ligne), le stoïcisme, à cet égard, fit l’éloge de la science. Rêvons d’un stoïcisme cohérent avec la cosmogonie d’après Einstein, avec l’évolution de la vie d’après Darwin.

 

Parfum « d’écologie profonde » ?

Le philosophe norvégien Arne Naess, fondateur de « l’écologie profonde », a proposé huit principes pour une éthique environnementale. Parmi ceux-ci : reconnaître la valeur en soi des êtres vivant, humains ou non humains, reconnaître la valeur en soi de la richesse et de la diversité des êtres vivants. Il a aussi proposé une sagesse écologique ou écosophie dont voici un raccourci extrême. Passer de soi (individu) à Soi (nature, cosmos) ; adapter ses besoins aux besoins de la biosphère. Qu’en dit le stoïcien ? « Ainsi, si elle s’accompagne d’un consentement aux événements, la prise de conscience du moi, loin de l’isoler comme un îlot minuscule dans l’univers, l’ouvre, au contraire, à tout le devenir cosmique, dans la mesure où le moi se hausse précisément de sa situation limitée, de son point de vue partial et restreint d’individu, à une perspective universelle. Ma conscience se dilate ainsi aux dimensions de la conscience cosmique ».

 

L’écologiste stoïcien.

« Si un sage, n’importe où, tend le doigt avec sagesse, tous les sages de la terre en tireront profit. » aurait dit Chrysippe. Donc il peut en aller de même entre nos deux sagesses. Dans les deux cas, il y a recherche de cohérence. « Ceux qui vivent dans l’incohérence, ce sont des gens malheureux » (Zénon, autre père). Convenons aussi qu’écologistes et stoïciens visent le bien moral.

P. Hadot ordonne les pensées de Marc Aurèle selon trois disciplines ou thèmes d’exercices spirituels, ou règles de vie : assentiment /désir et impulsion / action. L’écologisme s’y retrouve.

 

Discipline de l’assentiment.

Veiller à démêler le vrai du faux. Recherche de l’objectif dépouillé de subjectif. Se libérer de ce qui asservit le jugement, le désir, l’action (opinions par exemple). Mouvement qui pousse à bien penser, à bien parler, à se faire une représentation adéquate des choses, à ne donner son assentiment qu’en accord avec la raison. Tout se passe dans la tête, dans l’esprit, dans sa citadelle ; n’importe qui peut/doit rejeter le mal moral.

Discipline nécessaire pour l’écologiste. Les avancées des discours sont volontiers des reculs dans l’action et l’on s’y perd. Des politiques sont ambiguës et l’on craint qu’elles ne servent le profit avant le Bien : transition écologique, économie verte,…

 

Discipline du désir et de l’impulsion.

Discipline du désir : refus de désirer autre chose que ce que veulent la Nature du Tout, la raison universelle. Discipline de l’impulsion : faire ce que ma nature propre veut que je fasse et qui (refrain) ne doit être rien d’autre que le bien moral

Rester en cohérence avec soi et s’accorder au monde : c’est le débat « stoïcien-écolo » d’il y a quelques lignes.N’y revenons pas mais insistons : si les fondements des deux sagesses diffèrent, leurs conséquences convergent.

Hadot liste des applications de ces disciplines. Ainsi. Coupler contemplation de la nature à collaboration personnelle au bien général du Tout en jouant ici-bas le rôle choisi par le destin. Circonscrire le présent car « notre vie réelle se limite à cette pointe minuscule qui nous met en contact (…) avec le mouvement général de l’univers ».

 

Discipline de l’action (ou l’action au service de l’homme)

L’action est devoir moral. Elle vise d’abord à se conserver soi-même à l’instar de tout être vivant mais en restant cohérent avec soi, au service de l’humanité. Cosmos, cités, familles : mêmes devoirs. Altruisme et cosmopolitisme. Dans l’action, pas d’agitations de marionnettes . L’action peut échouer mais tout est dans l’intention ; accepter l’échec mais repartir.

L’épandage excessif de pesticides, en stoïcien, est du Mal moral ; l’écocitoyen, le citoyen tout court s’indignent ; sois bienveillant lui recommanderait Marc Aurèle, explique encore et encore.

 

Le stoïcisme en dépit du respect qu’il s’est attiré tout au long des siècles, n’a rien amélioré dans les comportements de l’homme envers la nature, l’humanité, lui-même. Côté écologisme, face à l’avenir que l’homme se crée (effet de serre, biodiversité en saccage, pollutions,..), il semble bien qu’il n’y ait d’autre choix logique et sage que d’être « décroissant » (moins de consommations d’énergie, de matières, moins de démographie..). Qui est prêt à cela ?

Mais bon ! Stoïcisme et écologisme auront du moins sauver l’honneur.